La culture du vélo urbain dans l'agglomération lyonnaise connaît un engouement très récent. Dès les années 1960, l'automobile avait inexorablement chassé les cyclistes de la ville. Il y a une dizaine d'années encore, se déplacer à bicyclette relevait soit de l'inconscience ou du militantisme écologiste ! La quasi-inexistence d'aménagements cyclables ainsi que le comportement des conducteurs régnant en maître sur la voirie rendait la part des déplacements à vélo dans la capitale des Gaules anecdotique.
En 2005, un nouvel objet urbain, le vélo en libre service – baptisé Vélo'v – est installé massivement sur le territoire de Lyon et de Villeurbanne. La communauté urbaine de Lyon et l'entreprise JC Decaux imaginent un vaste réseau de vélos accessibles depuis l'espace public, une sorte de service de transport public individuel. Dès l'inauguration, un « effet masse » est créé puisque 2000 vélos garés dans 173 stations quadrillent les deux communes. Les Lyonnais adoptent très rapidement ce nouveau mode de transport urbain. Après 7 ans d'utilisation, plus de 40000 Grandlyonnais sont abonnés annuellement au service. Les Vélo'v font partis du paysage urbain et remplissent un rôle très important. Près de 340 stations desservent 4000 vélos parcourant chacun une moyenne de 5000 kilomètres/an. Le service enregistre 18 000 locations par jour avec des pointes à 45 000 lors des grèves des transports en commun lyonnais !
La mise en selle a été remarquable en rapidité et en importance. Comment le Vélo'v a-t-il pu s'imposer dans une ville largement acquise à l'automobile ? Le succès du Vélo'v est rendu possible grâce à l'aménagement rapide et progressif d'un réseau cyclable à l'échelle de l'agglomération. La ramification de celui-ci est désormais fine et cohérente...même si des améliorations sont évidemment possibles. Le Plan mode doux de l'agglomération vise à constituer un réseau cyclable de 920 km en 2020. Il atteint aujourd'hui 460 km et s’accroît d'une trentaine de kilomètres par an. Projet phare du mandat municipal précédent, l'aménagement en immense parc linéaire des berges du Rhône a permis un essor naturel du Vélo'v et plus généralement des modes doux. Reliant de manière sécurisée et agréable les deux grands parcs urbains lyonnais, la Tête d'Or et le parc de Gerland, les berges du Rhône deviennent instantanément un axe privilégié pour les apprentis cyclistes.
Le Vélo'v est plébiscité par l'ensemble des habitants : on croise vite toutes les classes d'age essayant ou adoptant ce nouveau mode de déplacement. Si l'on distingue beaucoup de « jeunes » - les 18-34 ans représentent les 2/3 des usagers – on croise aussi des familles, des « seniors »... De l'utilisateur occasionnel à l'abonné conquis, du Lyonnais au touriste, le Vélo'v et son garde-boue rouge fait désormais parti du paysage urbain lyonnais. Il a fait sauter la barrière « du dernier métro et du dernier tramway », couperet fatidique qui indiquait la fin d'une soirée. C'est un moyen économique de rentrer chez soi à toute heure ! Les déplacements sont d'ailleurs de courte durée : 95 % des trajets sont réalisés durant la période de gratuité des 30 premières minutes ou de l'heure permises. Les utilisateurs de Vélo'v prennent moins leurs automobile et se servent du service aussi bien pour les loisirs que pour les trajets domicile-travail.
Plus que par les services indéniables et devenus indispensables qu'il rend, c'est surtout par les conséquences sur la ville et les pratiques que le phénomène Vélo'v est remarquable... Vélo'v s'insère dans la politique globale de déplacements à l'échelle du Grand Lyon, allant du TER, en passant par le réseau de métro, de tramways et de bus. Les aménagements de voirie, les parcs de stationnement (7000 anneaux installés), les « zones 30 » et les rues piétonnes complètent ce dispositif favorable aux cycles. L'atmosphère de la ville a changé. Le trafic automobile est un peu plus apaisé, les automobilistes font davantage attention aux cyclistes débutants ou maladroits. L'afflux de Vélo'v a forcé les voitures à changer – un peu – de comportement.
Vélo'v a donné envie de refaire du vélo en ville, il a eu un effet d'entraînement indéniable. Selon le Grand Lyon, le trafic des déplacements à vélo a progressé de 80 % depuis la mise en service de Vélo'v. Il représente 30 % du trafic vélo. La part des vélos dans l'ensemble des déplacements de l'agglomération est estimée à 2,5%. L'objectif est de passer à 5 % dès 2014. Le Vélo'v permet d'essayer le vélo en milieu urbain et de se rendre compte que la pratique n'est pas si dangereuse qu'imaginée...que c'est même agréable, pratique, et peu onéreux : « L'essayer c'est l'adopter » ! Grâce à Vélo'v, les habitants redécouvrent leurs vieux vélos inutilisés ou en achètent de nouveaux...
Le réseau cyclable génère un accroissement des pratiques qui stimulent elles-mêmes son agrandissement. Elles reflètent aussi l'évolution sociologique du centre-ville. On croise des engins venus des pays nordiques où la bicyclette utilitaire fait partie du quotidien : vélos cargos, sièges enfants, carrioles, tandems, vélos couchés, etc....les pratiques cyclistes lyonnaises évoluent vers une grande diversité.
Une nouvelle géographie de l'agglomération pour les cyclistes se dessine en fonction de l'agrandissement du réseau cyclable. Outre la poursuite des aménagements classique de voirie, de grands projets fédérateurs permettront d’accroître l'espace cyclable dans l'agglomération. L'opération « rives de Saône » visant l'aménagement des berges de la rivière irriguera une série de communes du val de Saône peu familières au vélo autre que sportif. A Lyon, l'avenue Garibaldi est en pleine transformation : les trémies de cette « autoroute urbaine » laisseront place à un vaste boulevard ménageant automobiles, transports en commun et bicyclette...
Il semblerait que grâce au Vélo'v, les pratiques cyclistes dans l'agglomération lyonnaises soient entrées dans un cercle vertueux : la hausse de la pratique allant de pair avec la création d'aménagements dédiés. On peut donc souligner le succès de cette aventure...même s'il n'était pas difficile d'augmenter la part modale des cyclistes lyonnais ! Vélo'v n'est pas exempt de défauts, certainement les mêmes que l'on retrouve dans les autres villes équipées de services similaires : un côté pratique qui peut être mis à mal par des stations pleines...ou vides, un vélo lourd et lent, une dégradation navrante du matériel par des actes de vandalisme récurrents et un territoire desservi finalement limité.
Lyon et Villeurbanne restent les seules communes desservies à l'échelle d'une agglomération qui en compte cinquante sept. Dans sa configuration actuelle et devant le succès rencontré, le service est-il arrivé à un palier ? Une extension à d'autres communes de l'agglomération est-elle envisagée ? Affirmant une image positive, le Vélo'v pourrait sans doute gagner d'autres territoires et continuer d'évangéliser les citadins grandlyonnais aux bienfaits du vélo urbain !
Article rédigé par Stéphane Autran, conseiller en urbanisme à Lyon.
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